mardi 31 mars 2009

Bienvenue en enfer



Route démolition !

Ce cargo file droit sur une plage pour son dernier voyage. Pas de quai en perspective ni de remorqueur pour l'accompagner, c'est le sable qui va freiner son assaut vers la plage d'Alang où l'attend une armée de petits hommes affamés de ferraille.
Ce beaching contre-nature, je l'ai vécu à bord d'un bateau grec de 150 mètres de long : l'Athinaï. Je tournais un reportage sur la plus grande casse du monde, située dans l'état indien du Gujarât. Alang est un ancien village de pêcheurs transformé depuis 25 ans en casse de bateaux. 25/30 000 ouvriers s'y pressent pour découper au chalumeau des cargos venus du monde entier. Des moucherons, piégés comme des insectes dans une toile d'araignée tendue par la faim. C'est sur ce chantier que le Blue Lady (ex-France) a récemment été déposé au terme d'un itinéraire rocambolesque.
A bord de l'Athinaï, que nous avons rejoint par une échelle de coupée en pleine mer, on a trouvé un équipage sonné. Le commandant Lourakis nous a reçu gentiment, mais la bouteille de whisky à moitié vide sur son bureau témoignait de sa détresse. Il nous a demandé de le suivre sur la passerelle où nous devions parcourir les derniers milles qui conduisaient son bateau vers la plage d'Alang. Il a ordonné "en avant toute" à l'homme de barre qui devait se diriger vers un point lumineux rouge situé sur la plage d'Alang. Et en prononçant ses mots, il pleurait.
L'Athinaï a rugi, obéissant à toute la puissance de sa machine. Le commandant Lourakis appuyait son front contre une vitre, blême, incapable de comprendre comment il a avait pu donner cet ordre d'aller échouer son bateau.
Moi je me posais quelques questions alors que le monstre d'acier file à près de 20 noeuds en direction du rivage : on s'accroche, ça va faire du bruit ? Rien , nada, nothing, l'Athinéï s'est contenté de poursuivre sa route jusqu'au moment où le niveau d'eau est devenu insuffisant pour assurer sa flottaison. Alors nous avons commencé à ralentir, la coque freinée par un mélange de vase et de sable. Atterrissage onctueux, suivi de l'exode de l'équipage qui s'est rendu à terre en empruntant les canots de sauvetage. Là-bas sur la plage, des petits hommes emmitouflés se serraient autour d'un feu. Leur nouvelle proie était arrivée, encore frémissante de son ultime assaut vers la terre. Les flammes faisaient briller leurs yeux noirs.

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