mercredi 15 avril 2009

La haine

Alors voilà, on attendait comme chaque samedi matin les chiffres d'audimat du Thalassa de la veille (vendredi 10/04/09 à Paimpol). Ils sont tombés sur nos portables un peu après 9 h. et on était drôlement content parcequ'avec 15.3 % de part de marché (c'est le vocabulaire des spécialistes de Médiamétrie), on venait de réaliser l'une des meilleures audiences de l'émission depuis que nous avons démarré notre saison sur le sentier du littoral.
C'est après que ça s'est gâté... TGV pour Paris, retour à la maison où j'allume mon ordinateur pour aller prendre la température des réactions des télespectateurs sur le forum du site internet de Thalassa (www.thalassa.france3.fr). Et là je tombe des nues en découvrant une avalanche de messages de protestation."Honte sur vous, écrivent la plupart des internautes, vous avez donné une image déplorable de notre région. C'est un coup de poignard dans le dos à quelques semaines de la saison touristique..."
Mis en cause, un reportage consacré aux sites de stockage de déchets pétroliers résultant des marées noires, un autre sujet expliquant la prolifération des algues vertes, un détour par Bréhat où la caméra s'attarde sur une décheterie à ciel ouvert...
Pour les internautes bretons, il est évident que nous avons un compte à régler avec leur région. Pour quelle raison ? Les explications les plus farfelues fleurissent : "on" a refusé à Georges Pernoud un permis de construire dans les Côtes d'Armor..., "on" a nettoyé les rues de Paimpol pour que les habitants ne puissent pas s'approcher du lieu du direct..., "on" pense qu'il s'agit d'une vengeance du producteur de Thalassa qui aurait été mal reçu à l'occasion d'une précédente émission à Perros-Guirec..., "on" croit savoir que les départements du sud de la France ont envoyé un chèque pour que Thalassa dénigre la Bretagne..., j'en passe et des plus odieuses. Certains en appellent aux politiques, exigent des excuses publiques, menacent de venir manifester à l'occasion de la prochaine émission à Dinard.
Ouest-France fait deux articles sur le sujet, France 3 Rennes reprend la polémique dans son journal télévisé régional. Georges Pernoud est sommé de s'expliquer. Il a beau répéter que nous sommes une équipe de journalistes qui ne confondons pas notre travail avec celui d'un office de tourisme, rien n'y fait. Les élus s'en mêlent, avec une mention spéciale au maire de Paimpol, Jean-Yves de Chaise Martin qui demande dans un communiqué "non des excuses mais un rectificatif." Etonnante réaction. La mairie de Paimpol -où se déroulait l'émission vilipendée- avait reçu le "conducteur" de l'émission dans lequel il était clairement indiqué l'intitulé des différents reportages diffusés dans l'émission. Il est venu nous rendre visite dans les loges avant le direct et il a assisté à l'émission dans le car-régie aux côtés de l'équipe de réalisation. Oui mais voilà, entre-temps le vent a tourné et il lui a fallu se raccrocher aux branches.
La finesse et l'équilibre des raisonnements sont mis à mal dans ce maëlstrom où l'on se rend vite compte que Thalassa a touché à des tabous liés à deux activités économiques : le tourisme et la filière agricole porcine (dont on sait qu'elle pollue depuis des années le littoral et les nappes phréatiques en utilisant des nitrates pour augmenter les rendements). N'oublions pas : nous sommes dans une région où les habitants ne peuvent plus boire l'eau du robinet ! Oui mais voilà, le scandale, ce n'est pas ce fait inadmissible, le scandale, c'est de pointer du doigt l'inefficacité des élus de tous bords qui martélent "développement durable" comme un mantra sans se donner les moyens politiques et budgétaires de ne pas faire construire des campings à l'emplacement d'un ancien site de stockage de déchets pétroliers.
Qu'a donc fait Thalassa pour mériter ce déferlement de haine et d'incompréhension ? Relater une vérité connue de tous mais rarement étalée dans un grand média national. Depuis le début de notre tour de France du littoral, nous avons soulevé dans chaque émission les points chauds liés à de mauvaises pratiques environnementales. Les mines d'amiante en Corse; l'étouffement de zones humides dans le Roussillon; la puanteur d'un petit fleuve, la Reppe, qui se jette au pied d'une plage très fréquentée à Sanary sur Mer; la poursuite des rejets en mer des communes du bassin d'Arcachon par le wharf de la Salie; le projet contesté d'installation d'un port méthanier dans le Verdon.
Voilà, on a juste fait notre métier de journaliste. En Bretagne comme ailleurs, sans penser un instant démolir une région mais avec la simple volonté de souligner le manque d'implication des élus pour remédier aux excès d'une industrialisation qui détruit en profondeur l'environnement.
On peut toujours essayer de se cacher derrière son petit doigt... Restent les faits : souverains, incontestables. Si la Bretagne continue à vouloir minimiser ses dérives environnementales comme on glisse la poussière sous un tapis, elle le paiera au prix fort un jour ou l'autre. Tiens, ça me fait penser à ce fameux proverbe chinois : "Quand le sage montre la lune avec son doigt, l'idiot regarde le doigt".