L'histoire est exemplaire. Vendredi 20 février 2009, Thalassa diffuse le magnifique reportage de Daniel Grandclément qui décrit pendant 45 minutes le calvaire des enfants talibés d'une école coranique de M'Bour, au Sénégal. Daniel a passé un mois sur place auprès de ces gosses de 4 à 15 ans doivent mendier pour un marabout qui a érigé les mauvais traitements et le fouet en méthode pédagogique. Les réactions ne traînent pas.
Dès la fin de l'émission, le forum du site
Thalassa croule sous les messages de téléspectateurs indignés par ce qu'ils viennent de voir. Certains avouent que ces images les hantent et qu'elles vont les empêcher de dormir. En 48 heures, 1500 réactions sont envoyées sur ce forum qui est lu dans le même temps par plus de 20 000 personnes. Un record. A France 3, le service chargé des relations avec les téléspectateurs explose aussi devant l'avalanche de mails. Au-delà de l'émotion qui suinte de chaque message, les internautes s'organisent. Le Net est la machine idéale pour lancer un mouvement de protestation, pour réfléchir collectivement. Rapidement, l'idée d'une pétition à destination du secrétaire général de l'ONU est adoptée. Les signatures affluent sur un
site dédié à ce type d'opération. Et immédiatement, quelques leaders apparaissent...
Je m'occupe quotidiennement de la modération du site Thalassa et de celui des sentinelles du littoral, j'ai donc suivi en temps réel cette mobilisation sans précédent.
Trois jours après l'émission, l'un des "activistes" du forum me téléphone (il se reconnaîtra...) et me tiens les propos que je relate ici : "
Bonjour, j'ai voulu prendre les choses en main parce que je connais bien le Sénégal. J'y ai vécu et maintenant j'habite en Allemagne. Je suis militaire."
Puis il enchaîne : "
On ne fait pas ça contre les écoles coraniques mais quand même... Faudrait pas qu'on nous accuse encore de racisme..."
Puis il me demande comment Thalassa peut les aider dans leurs démarches et notamment si nous pouvons convaince la radio RTL de relayer leur combat. Je lui explique donc qu'il ne faut pas mélanger les genres : nous restons dans notre positionnement de journalistes, en aucun cas nous n'allons prendre le leadership de cette mobilisation. Je lui demande aussi de ne pas révéler le contenu de notre conversation sur le forum, ce qu'il fera malgrè tout quelques minutes après...
Et puis il y a cette multitude d'associations sorties de nulle part qui vont se signaler sur le forum en expliquant qu'elles sont incontournables dans leur mission de protection des talibés d'M'Bour. La concurrence bat son plein, chacun espérant récupérer une part du gateau, chacun nous reprochant de ne pas l'avoir cité, certains reprochant même à Georges Pernoud de se faire censurer par le gouvernement sénégalais. Ceux-là oublient visiblement que sans la décision éditoriale du producteur de Thalassa, jamais le reportage de Daniel Grandclément n'aurait pu être diffusé dans une émission de prime-time suivie par plusieurs millions de téléspectateurs. Et jamais le sort indigne réservé aux talibés de M'Bour n'aurait pu être porté à la connaissance du plus grand nombre.
Confusion des esprits, concurrence associative, concurrence émotionnelle, concurrence...
Et voilà comment on se retrouve au coeur d'un véritable quiproquo où la posture déontologique d'une émission est assimilée à... une tiédeur d'engagement par certains internautes.
Le monde à l'envers, non ?